Au bord de l’Atlantique, sur l’île de Gorée, lorsque les voiles blanches des navires européens apparaissaient à l’horizon, on savait qu’une Signare s’apprêtait à recevoir des invités. Vêtue d’un grand boubou de soie, le visage illuminé par des bijoux d’or et de perles, elle avançait avec grâce. On l’appelait la Signare, « la Dame », héritière d’un monde entre deux cultures.

Les Signares étaient des femmes métisses ou africaines, liées aux Européens par des unions dites à la mode du pays. Mais elles n’étaient pas de simples compagnes. Elles étaient cheffes d’affaires, propriétaires, négociantes. Dans leurs mains, se décidaient les échanges de marchandises précieuses : la gomme arabique, l’ivoire, l’arachide, parfois même les esclaves. Leur maison, vaste et colorée, ouvrait ses portes aux voyageurs et aux commerçants. Elles savaient parler plusieurs langues, maîtrisaient les codes de l’élite européenne tout en restant profondément enracinées dans les traditions africaines. Ce mélange leur donnait une autorité unique : elles étaient à la fois gardiennes des valeurs locales et actrices du commerce international.

Mais derrière le faste et l’élégance, leur histoire est aussi faite d’ombres. Certaines Signares ont bâti leur fortune sur le commerce triangulaire, profitant d’un système douloureux qui a marqué l’Afrique. Pourtant, d’autres ont utilisé leur position pour protéger leurs proches, pour transmettre richesse et savoir à leurs enfants, pour assurer la survie de leurs communautés.

Aujourd’hui encore, dans les rues de Saint-Louis ou sur l’île de Gorée, on évoque ces femmes puissantes. Elles sont devenues des symboles d’élégance, de force et d’émancipation, mais aussi des témoins d’une histoire complexe, mêlée de splendeurs et de blessures. Les Signares nous rappellent qu’au cœur même de la colonisation, dans un monde dominé par les hommes et par l’Europe, des femmes ont su s’imposer, écrire leur destin et laisser une empreinte indélébile dans la mémoire du Sénégal.